Avocat et FES-Fellow Louis Gitinywa décrit la pandémie comme un test pour le modèle rwandais de développement.
Image: of Cyril Ndegeya Le Rwanda réagit rapidement et efficacement : une installation de lavage des mains au terminal des bus à Kigali a déjà été mise en place à la mi-mars.
Après la désignation par l'Organisation Mondiale de Santé (OMS) du coronavirus (SARS-CoV-2) en tant que pandémie mondiale, le Rwanda était le premier pays d'Afrique qui est entré dans une phase de confinement. Le 23 mars, le gouvernement a ordonné un confinement strict restreignant les voyages et fermant les universités afin de réduire la propagation du virus dans le pays. A ce jour, le 8 mai, le Rwanda compte 271 cas et aucun décès.
Le modèle de gouvernance du Rwanda est échafaudé sur deux récits concurrents : à côté de l'histoire d'être un "enfant chéri de l’aide", le pays est généralement considéré comme un exemple réussi de développement en Afrique. C'est également un Etat autoritaire basé sur un pouvoir économique et politique étroitement centralisé au sein du parti au pouvoir, le FPR (Front Patriotique Rwandais), qui contrôle l'appareil de sécurité de l'Etat et possède les principales entreprises du pays. Ce modèle de gouvernance a fondé sa légitimité sur le progrès socio-économique rapide du pays.
Certains commentateurs politiques suggèrent à juste titre d'utiliser l'épidémie comme barème pour tester la nature et la qualité de nos institutions. Et le point de départ évident est d'examiner les forces et faiblesses de l'appareil d'Etat et la façon dont le pouvoir répond aux besoins du peuple. Peu de temps après que le gouvernement ait annoncé un confinement à l'échelle nationale, les citoyens se sont tournés vers les médias sociaux, plus particulièrement vers les Rwandais sur Twitter (surnommé RWoT), exhortant le gouvernement à fournir des secours alimentaires d'urgence aux familles les plus vulnérables et à mettre en œuvre des mesures économiques palliatives dès que possible.
En outre, il est important de comprendre le contexte national où l’on ne voit pas souvent les Rwandais critiquer publiquement l'Etat ; en particulier sur les réseaux sociaux en raison de la réticence du régime à tolérer les critiques. Souvent, les gens ont peur d'exprimer leurs préoccupations à cause de la répression étatique et de l'utilisation de son pouvoir coercitif.
Bien que certains citoyens aillent loin en demandant plus de transparence sur la gestion du ‘’Fonds Agaciro’’ (Agaciro, qui signifie "dignité" en kinyarwanda, est essentiellement un fonds fiduciaire national) ; et pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas encore décidé d’utiliser une partie de ses propres fonds pour atténuer les effets socio-économiques de cette crise plutôt que de demander à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International des plans de sauvetage et des prêts ?
Les citoyens s'inspirent du monde extérieur pour savoir comment d'autres pays ont réagi aux effets économiques de cette crise. Par ailleurs, il est essentiel de comprendre le réveil soudain des citoyens, en particulier dans un contexte d’une nation où les opinions officielles du gouvernement dominent les médias nationaux, avec une liberté d'expression limitée couplée d’une société civile très affaiblie.
Quand bien même le produit national brut ait oscillé autour de 7% au cours de la dernière décennie, la majorité des Rwandais, pour la plupart jeunes et instruits, restent pauvres, sans emploi et en situation de précarité financière. En revanche, il s’observe une expression forte et croissante des frustrations des citoyens, en particulier dans les zones urbaines envers le discours officiel sur le développement et le progrès socio-économique du pays.
Pendant que les Etats membres de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) comme le Kenya ou l'Ouganda ont déjà annoncé des plans de relance économique pour faire face à l'impact économique dévastateur du Coronavirus, le Rwanda n'a pas encore annoncé de stratégie d'atténuation économique d’ensemble pour aider les entreprises et les acteurs du secteur privé à faire face aux effets économiques de cette crise.
Même un mois après la mise en œuvre de la décision de confinement, le gouvernement est resté muet sur la demande des citoyens en matière d’aide alimentaire; en particulier sur les controverses qui ont émergé dans les médias locaux dénonçant le fait que les autorités ont accordé si peu ou pas de soutien aux familles vulnérables.
Fait intéressant, cette crise a mis en lumière les frictions politiques croissantes au sein du gouvernement, compte tenu des récents limogeages du ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, le Général Patrick Nyamvumba, et du ministre d'Etat au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, l'ambassadeur Oliver Nduhungirehe. On peut donc affirmer que ces turbulences illustrent l’absence d’une stratégie claire du gouvernement pour faire face à cette crise. Aujourd'hui, il apparaît qu'à travers cette pandémie, le mythe d'un Etat organisé et efficace est brisé.
Avec cette crise pandémique, des questions se posent sur la maturité et la légitimité de notre modèle de gouvernance. Un modèle autoritaire de développement est-il efficace ou non pour absorber les inégalités sociales et les conflits ? Malgré son hégémonie, le modèle politique actuel reste vulnérable et, à la lumière de la frustration croissante d'une population qui souffre déjà de difficultés diverses, le chômage et la pauvreté, il est clair que la réticence du régime à tolérer la critique peut compromettre la longévité de son modèle.
Le plein potentiel perturbateur de la crise du coronavirus prendra des mois, voire des années, pour se révéler. En attendant, et si cela vous préoccupe, alors il pourrait être utile de réfléchir à la façon dont cette épidémie pourrait éventuellement changer notre société pour le mieux.
Louis Gitinywa est avocat et consultant juridique basé à Kigali, au Rwanda, et membre de la CEU 2019 et de la Friedrich-Ebert-Stiftung Constitution Building Summer School. Son courriel de contact est le suivant: tatabo2010@gmail.com
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