Baba Dakono du Mali souligne que ce n'est pas à cause de nouveaux défis liés au Covid-19 que la situation sécuritaire au Sahel est difficile.
Image: of MINUSMA/Marco Dormino Une équipe des Officiers UNPOL de la MINUSMA s’entretient avec la population lors d'une patrouille quotidienne dans les rues de Menaka, dans le nord du Mali.
Longtemps en proie à une crise sécuritaire, la région du Sahel est confrontée à un défi supplémentaire lié à la pandémie de coronavirus (Covid-19). Cette crise sanitaire qui doit être appréhendée du triple point de vue économique, social et politique est révélatrice des maux de la gouvernance. Elle rappelle également les défis pour les États du Sahel et leur partenaires internationaux, déjà engagés dans la région.
Déjà dans la turbulence en raison de l’intensification des attaques attribuées aux groupes terroristes et la recrudescence des conflits locaux notamment au Burkina, au Mali, et au Niger, les pays du Sahel devront également faire face à la crise sanitaire mondiale. Depuis la mi-mars 2020, cette crise liée au nouveau coronavirus est venue se greffer sur une situation sécuritaire, économique et humanitaire déjà préoccupante. Suivant les statistiques de l’Organisation des Nations unies (ONU) le nombre de personnes tuées dans les violences au Burkina Faso, au Mali et au Niger est passé de 770 morts en 2016 à 4 000 en 2019. Dans un tel contexte, la crise liée à la pandémie du Covid-19 va mettre davantage sous pression des États déjà fragiles.
La vulnérabilité de ses systèmes sanitaires place l’Afrique au cœur des inquiétudes face au Covid-19. Pourtant, au regard de l’évolution de la maladie, il est peu probable que le continent subisse un désastre sanitaire comme c’est le cas en Europe, en Asie et aux États-Unis. Le 28 avril 2020, l’Afrique subsaharienne comptait officiellement 19 819 cas, soit moins de 1% du taux mondial. Le taux de mortalité actuel en Afrique est de 4,4%, même s’il semble plus élevé au Burkina et au Mali. Ainsi, au Sahel, le risque est surtout humanitaire, social, économique et politique. Trois éléments méritent une attention particulière de la part des États sahéliens et leurs partenaires.
D’abord, la pandémie révèle les dysfonctionnements dans la gouvernance et particulièrement la gestion de la question sanitaire avec des politiques de santé inadaptées dans la plupart des États. Tout comme la crise sécuritaire, la pandémie liée au Covid-19 rappelle qu’aider les États fragiles comme le Mali à restaurer leur autorité pourrait difficilement avoir un effet stabilisateur si ces États demeurent incapables de répondre aux besoins élémentaires des communautés. Que les crises soient sécuritaires, politiques ou sanitaires dans le Sahel, elles s’amplifient en raison des défaillances dans la gouvernance. Le défi est donc de pouvoir responsabiliser les États face aux chocs qui surviennent au lieu de s’y substituer ou de faire rétablir des modèles de gouvernance qui ont progressivement contribué à l’émergence des crises.
Dans le contexte spécifique Malien, marqué par une crise sécuritaire qui perdure et face à laquelle le pays et ses partenaires internationaux peinent à trouver des solutions durables, la crise sanitaire risquerait de détourner l'engagement international de son mandat initial. Avec l’absence ou la faible présence de l’État dans certaines localités, ces acteurs seraient confrontés à un défi supplémentaire pour lequel ils n'étaient pas préparés.
Ensuite au plan humanitaire, la crise sanitaire va exacerber une situation humanitaire déjà alarmante. L’insécurité dans la région a de multiples conséquences humanitaires. En plus des centaines d’écoles et de centres de santé fermés, le Sahel est en proie à une profonde crise alimentaire. Selon les experts du Programme alimentaire mondial des Nations unies près de 4,8 millions de personnes dans le Sahel central seront exposées à l'insécurité alimentaire pendant la période de soudure (juin-août 2020). Au Mali, même si la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali consacre déjà une grande énergie à se protéger elle-même, elle parvient grâce à sa force d’intervention à assurer certaines actions dont la facilitation de l’assistance humanitaire dans certaines localités difficiles d’accès.
Enfin, cette crise sanitaire offre l’occasion d’inscrire les actions des partenaires dans une approche coordonnée, basée sur la complémentarité. Face aux risques multiples qui seront ressentis à des degrés différents suivant les pays, les mesures déjà adoptées par les États constituent un pas dans la bonne direction mais elles ne sont pas suffisantes. Il est impératif de répondre à l'impact de la crise sanitaire dans l’immédiat et sur le long terme, les efforts doivent être poursuivis afin d’aider les États à aller vers le renouveau des modèles de gouvernance.
Baba Dakono, Juriste, est Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen Amadou Hampaté BA sur la Gouvernance et la Sécurité et chercheur au niveau de l’équipe Sahel du bureau régional de l’Institut d’Études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, les deux basés à Bamako.
Susan.Javad(at)fes.de