Le scientifique malien Etienne Fakaba Sissoko appelle à une réorientation radicale des politiques macroéconomiques des pays africains vers une plus grande autonomie.
Image: of Hans-Joachim Preuss Extraction semi-industrielle de soja à Allada, au Bénin.
Les économies africaines connaissent leurs premières récessions depuis plus de 25 ans. En effet, du fait de la Covid-19, la croissance de l’Afrique subsaharienne devra se rétracter fortement, passant de 2,4% à -5,1% en moyenne pour cette année 2020. Sous l’effet conjugué de la désorganisation des échanges et des chaînes de valeur, la Banque Mondiale évalue les pertes de production liées à la pandémie entre 37 et 79 milliards $ en 2020, pénalisant les exportateurs de produits de base et les pays fortement intégrés dans les filières mondiales comme le Nigeria, l’Angola ou l’Afrique du Sud.
Pour le Mali, les conséquences sont désastreuses : les prévisions de croissance pour l’année 2020 chutent de 5% à 0,9% avec un impact incommensurable pour une économie dont le moteur stimulateur est l’informel. Devant l’agriculture réglementée, l’informel est le premier secteur pourvoyeur d’emploi sur l’ensemble du territoire national avec plus de 60% du produit intérieur brut (PIB). 99% des entreprises maliennes qui y opèrent assurent 95% des emplois créés ; l’informel seul représente 70% de l’activité économique. Pour un pays dont les agents économiques vivent au jour le jour, les mesures de restriction comme la fermeture des frontières, la clôture des marchés et le confinement des populations présentées comme des solutions les plus efficaces pour ralentir la chaîne de transmission, sont une « chimère au Mali » sans mesures d’accompagnement comprises et partagées par les agents économiques.
Le secteur tertiaire, dominé par le commerce, l’activité administrative et les autres services est le plus dynamique et contribuait déjà à hauteur de 38% du PIB en 2019. Or, il est de notoriété publique que l’économie malienne reste structurellement très peu industrialisée avec un secteur manufacturier qui peine à se développer. Cette situation explique en partie le fort besoin du pays en importations et un déficit du compte courant qui s’élevait à 5,4% du PIB en 2019. A cela, il faut ajouter une mobilisation des recettes fiscales structurellement faible (14,3% du PIB), en dessous de la norme de l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) de 20%.
Dans ce contexte, la fermeture des frontières, à termes, provoquera une diminution des mobilités des personnes, des biens, des services et des capitaux. Le Mali, vivant en grande partie de l’importation de biens et de services, verra, à long terme, son stock de produits alimentaires diminué. Cette diminution présentera une opportunité d’augmenter les prix pour les vendeurs. L’inflation qui en sera issue se traduira par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, et donc de la consommation domestique. Par esprit d’anticipation, des ménages, pour se prémunir contre une évolution brusque du virus, procéderont à des achats leur permettant de faire des surstocks. Dans l’un comme dans l’autre cas, il convient que les politiques publiques d’approvisionnement soient exécutées pour éviter des ruptures de stocks, source de perte de pouvoir d’achat.
Sur le plan sanitaire, plus de 90% des médicaments consommés sont importés, le personnel soignant, en plus de son nombre limité, vit un problème de déficit de qualification. Les matériels de soin sont limités voire inexistants dans certains hôpitaux. C’est le moment de réfléchir et de concevoir un plan d’investissement de grande envergure pour le secteur sanitaire, allant de la formation, en passant par le recrutement, la construction des hôpitaux jusqu’à la disponibilité des matériels. C’est en cela que la crise actuelle devient une opportunité pour le Mali de redresser sa gouvernance, relever la tête pour le bien-être des populations.
La Covid-19 a davantage réconforté le besoin de plus d’autonomie nationale en termes de production et de stimulation des demandes intérieures. En effet, dans une situation de fermeture des frontières, les orientations de politiques macroéconomiques sont d’ordre interne, et chaque État n’est préoccupé que par la satisfaction des besoins intérieurs. C’est en cela que la crise sanitaire actuelle est aggravée parce que les conséquences sont d’ordre structurel.
La crise actuelle constitue une opportunité pour le pays de repenser ses politiques à travers la mise en place et l’exécution d’une vision stratégique à l’échelle nationale, tenant compte des potentialités de chaque région, avec comme fil conducteur un secteur industriel diversifié, se basant sur les matières premières du secteur primaire. Aussi, les politiques d’éducation doivent-elles s’adapter à ce contexte évolutif et incertain. La gouvernance institutionnelle se doit d’être de bonne qualité, et les capacités de coordination des politiques publiques à la hauteur.
Le gaspillage des ressources publiques, la privatisation de l’appareil étatique au profit d’une bande organisée entre copains et l’irresponsabilité de certains agents de l’État doivent cesser pour laisser la place à une gouvernance plus vertueuse.
Etienne Fakaba SISSOKO est Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’USSG de Bamako/Mali et Chercheur au « Centre de Recherche et d’Analyses Politiques, Economiqu es et Sociales du Mali ».
Susan.Javad(at)fes.de