L'expert ougandais en développement, Fred Muhumuza, se demande si les fonds provenant de l'allègement de la dette seront canalisés vers ceux qui en ont besoin.
Image: of Stuart Tibaweswa Vendre ses légumes verts sous confinement après avoir dormi au marché de Nakawa, à Kampala, Ouganda.
Un fait à propos de la pandémie de la Covid-19 est son impact sur les personnes souffrant d'affections sous-jacentes qui annihilent même les meilleurs efforts médicaux. Ceci est également vrai pour de nombreuses économies africaines qui ont des faiblesses sous-jacentes dans la prestation de services et qui n'ont pas pu réaliser avec succès l'utilisation des ressources locales et étrangères pour une croissance inclusive avec impact, alimentant ainsi les discussions sur la meilleure façon de canaliser efficacement l'aide au développement. La plupart des pays ont des lacunes flagrantes dans leurs politiques et dans leurs pratiques qui ont entraîné des faiblesses institutionnelles, la corruption et la mauvaise gouvernance. Le continent doit encore créer des structures politiques et un système économique qui identifient les priorités de développement et conçoivent les bons mécanismes de planification et de mise en œuvre avec un suivi et une obligation de compte rendu appropriés.
Vers la fin du siècle dernier, la pauvreté et les vulnérabilités persistantes en Afrique avaient déclenché des approches qui allaient au-delà de la simple injection de financements supplémentaires au développement pour inclure la réforme des politiques et des institutions gouvernementales. L'Ouganda a joué un rôle de premier plan dans l'achèvement du Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté, qui prévoyait de nombreux allégements de dette dans le cadre des Pays Pauvres Très Endettés et de l'Initiative d'Allégement de la Dette Multilatérale. La logique sous-jacente était de mettre en commun toutes les ressources (locales et étrangères), de renforcer la capacité des gouvernements à planifier, mettre en œuvre, opérer la gouvernance et respecter les droits de l'homme, puis rendre compte plus tard à toutes les parties prenantes. Les ressources des donateurs ont été retirées de la prestation directe de services en dehors des systèmes gouvernementaux, et la Société Civile (surtout les organisations non-gouvernementales) a dû réorienter ses efforts vers la sensibilisation des communautés pour un suivi conjoint et une demande d'obligation de compte rendu. L'appui aux projets a cédé la place à l'appui budgétaire, qui était censé offrir une plus grande flexibilité et la capacité de poser des actes convenus de commun accord.
Deux décennies plus tard, l'histoire n'a pas changé en partie parce que les gouvernements n'ont pas été à la hauteur de la tâche. Une combinaison de facteurs, notamment la mauvaise gouvernance, les préoccupations concernant la survie et la sécurité politiques, la corruption et les faiblesses institutionnelles ont conduit au détournement d'argent destiné au développement qui a un impact sur les pauvres. La confiance des citoyens et des partenaires au développement a été mise à mal et érodée. Des cas de corruption et de mauvaise prestation de services continuent de dominer les discussions politiques et sociales, dépassant presque largement les messages de la Covid-19.
En Ouganda, les résultats escomptés ont été difficiles à atteindre et/ou à maintenir, la pauvreté étant passée de 19,7% en 2012/2013 à 21,4% en 2016/2017. Le nombre de non-pauvres vulnérables est resté stable à environ 43% pendant une décennie. Les distorsions politiques sous-jacentes et les difficultés de mise en œuvre continuent de saper les progrès. Peu d'attention a été accordée aux soins de santé primaires de base, à la fourniture efficace d'intrants agricoles, aux services de vulgarisation et à la manutention post-récolte. Au contraire, l'accent est mis sur l'agro-transformation pour la valeur ajoutée dans un pays où 68% de la population est toujours piégée dans l'agriculture de subsistance - littéralement sans rien à vendre aux transformateurs alimentaires.
L'avènement de la Covid-19 a non seulement révélé les faiblesses sous-jacentes du système de santé et des mécanismes de prestation du secteur public, mais également la fragilité des moyens de subsistance. Des millions de citadins pauvres pouvaient difficilement survivre quelques jours après le confinement qui a perturbé les emplois qui soutiennent leur mode de vie au jour le jour. Le manque de données adéquates sur les pauvres et les vulnérables a rendu difficile le ciblage des secours et a créé de la place pour plus de corruption. L'incapacité des canaux traditionnels à soutenir efficacement les communautés pauvres et vulnérables a soulevé des questions sur la nécessité de nouvelles approches du développement.
Les bailleurs de fonds qui s'étaient pratiquement retirés de l'appui budgétaire, mais qui sont disposés à soutenir les interventions liées à la Covid-19, sont gênés par l'efficacité des mécanismes de prestation et l'optimisation des prestations financières connexes. Malgré leur engagement actuel à faire face aux urgences émergentes dues à la pandémie, l'avenir de l'appui budgétaire en tant que modalité de financement est encore incertain. Le rapport du Fonds Monétaire International de mai 2020 pour le décaissement de fonds en Ouganda au titre de la facilité de crédit rapide, indiquait que l'appui budgétaire était passé de 187 milliards de Shillings (US$ 50,5 millions) en 2018/2019 à 2 635 milliards de Shs (US$ 712,2 millions) en 2019/2020 mais devrait à nouveau diminuer pour atteindre 390 milliards de Shs (US$ 105,4 millions) d'ici 2021/2022. Cette augmentation a contribué aux dépenses liées au coronavirus de Shs 578 milliards (US$ 156,2 millions) en seulement deux mois environ à partir de mars 2020.
L'incertitude concernant le coronavirus est également assortie d'une incertitude persistante sur la question de savoir si les pays africains finiront par mettre en place des systèmes pour faire face aux conditions sous-jacentes qui rendent leurs populations moins vulnérables aux chocs locaux et mondiaux. L'escalade de la dette et l'augmentation du coût de son service ont laissé les pays confrontés à des difficultés financières avec pratiquement aucune source de fonds d'urgence, de même qu’il n’y aucune occasion pour des emprunts supplémentaires, mais la nécessité d'emprunter n'a jamais été aussi grande. La dette publique de l'Ouganda en pourcentage du Produit Intérieur Brut devrait passer de 45,1 en 2019/2020 à 57,9 en 2022/2023. Le paiement des intérêts a presque doublé, passant de 2 260 milliards de Shs (US$ 610,8 millions) en 2017/2018 à 4 022 milliards de Shs (US$ 1 087 millions) en 2020/2021.
A moins que les conditions sous-jacentes de la mauvaise gouvernance, de la faiblesse des institutions et de la corruption qui y est associée ne bien soient traitées, le continent restera vulnérable aux chocs sanitaires, politiques et sociaux. Les corrompus, qui volent même des médicaments vitaux destinés aux malades, ne peuvent pas inspirer confiance que les dons, allègements et remises de dette iront effectivement à ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi, un autre fait concernant la Covid-19 est qu'elle a rouvert le vieux débat sur la meilleure façon d'utiliser les ressources financières pour réaliser une croissance inclusive avec impact réel en Afrique.Fred Muhumuza est un analyste et chercheur en politique de développement qui se consacre à la formulation de politiques publiques et de cadres de mise en œuvre qui garantissent une croissance inclusive. Il travaille en étroite collaboration avec les gouvernements, la société civile et les partenaires au développement/bailleurs de fonds. Il enseigne à l'école d'économie de l'université de Makerere, Ouganda.
Direction
Dr. Henrik Maihack
Contact
Konstanze Lipfert
Hiroshimastraße 17 10785 Berlin
030-269 35-74 41
E-Mail