François Bambou appelle aux dirigeants africains de tirer les leçons économiques de la crise actuelle.
Image: of Salomon Djidjoho Covid-19 a mis en évidence les faiblesses structurelles du paradigme économique actuel. Chargement de noix de cajou au Bénin.
Au début de la décennie 2010, alors que les cours des matières premières agricoles et minières étaient au plus haut, que le poids de la dette était allégé et que les financements internationaux étaient abondants, nombre de pays africains, conscients de leurs retards de développement, ont élaboré des stratégies pour se hisser au rang de pays émergents. Au Cameroun, ce plan baptisé « Vision 2035 » visait comme ailleurs une transformation économique et sociale en profondeur, notamment à travers la diversification économique et la mise à contribution des technologies pour doper la production, créer des millions d’emplois décents, et travailler à un développement social équitable.
Alors que ces programmes sont restés dans les tiroirs dans la plupart des pays africains, force est de constater que « Covid-19 a révélé les faiblesses structurelles de notre paradigme économique en tant qu'exportateurs de produits primaires et importateurs de produits finis », comme soutient John Dramani Mahama, l'ancien président ghanéen.
Les dégâts de la Covid-19 sont par conséquent importants et transversaux, et vont causer une grave récession économique dès cette année. « Nous nous trouvons aujourd’hui en face de nouveaux défis liés à la forte baisse des places boursières, à la chute des cours des matières premières et à un fort ralentissement imprévu de nos échanges commerciaux. La pandémie du Coronavirus a donc un impact négatif sur l’économie », déplore le président Paul Biya du Cameroun. Certains secteurs tels que le tourisme, l'hôtellerie et le transport connaissent un effondrement du fait des fermetures de frontières et des restrictions des déplacements.
Au Cameroun où l’économie dépend fortement des exportations de pétrole, bois, café, cacao, et de coton, le ralentissement de la demande mondiale couplée à la baisse des cours va créer un manque à gagner budgétaire de 800 milliards de FCFA pour l’Etat avec une baisse de 70% des revenus pétroliers, et engendrer une récession de -1,2% contre des prévisions initiales de +4,6%. Tous les pays exportateurs de matières premières vont connaître une sévère baisse des recettes publiques.
La Banque mondiale estime que la récession en Afrique se situera entre -2,1 % et -5,1 %, après une croissance de 2,4 % en 2019. L’Union Africaine prévoit la destruction de 20 millions d'emplois ; jusqu’à 50 millions estime l’ONU.
Pour autant, faut-il désespérer quant à l’avenir du continent ? Non, tranchent de nombreux experts et leaders africains. La progression du Coronavirus en Afrique a eu l’effet d’une étude clinique grandeur nature sur les fragilités sociales et économiques du continent. John Dramani Mahama souligne : « Mais avec un leadership innovant et une croyance particulière en nos jeunes gens entreprenants et dynamiques, nous pouvons et nous devons remettre l'économie africaine sur les rails » « Covid-19 est une opportunité de réinitialiser l’Afrique » renchérit le banquier Tony Elumelu.
La réactivité des dirigeants, la résilience des peuples, l’inventivité des jeunes et la solidarité des Etats face à cette pandémie a prouvé que l’Afrique est capable d’affronter les défis les plus inattendus. C’est donc l’occasion pour les pays de déployer ces mêmes valeurs pour refonder une économie moins extravertie et plus intégrée, tournée vers la transformation des produits locaux pour la satisfaction des besoins alimentaires, sanitaires, énergétiques et en équipement des peuples. Bâtir un modèle agricole et alimentaire à la hauteur des atouts agro-écologiques et des défis démographiques du continent qui abritera plus de 2 milliards d’habitants en 2050 et qui importe annuellement pour près de 50 milliards de dollars en denrées alimentaires.
L’Afrique importe aussi en moyenne 80% de sa consommation de médicaments, soit un marché de près de 67 milliards de dollars qu’il est temps de se réapproprier. Rajeunir et renforcer les ressources humaines dans l’agrobusiness, soutenir la recherche scientifique et mieux la connecter au monde des affaires et de l’industrie, interconnecter des états via les infrastructures, promouvoir et protéger des industries du continent contre le dumping sont des mesures salutaires qui demandent surtout de la vision et du leadership.
L’Afrique qui ne pèse que pour 5% dans le commerce mondial a également l’occasion de renforcer les échanges intra-africains qui représente actuellement à peine 15% du total des échanges de marchandises de l’Afrique, en tirant avantage de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine qui va bâtir un marché de 1,2 milliards de consommateurs. Sachant que ces échanges à l’intérieur du continent créent plus de valeur ajoutée et plus d’emplois que le commerce avec le reste du monde, il y a tout lieu de garder espoir que l’Afrique pourra repenser et réussir sa transformation, une fois la crise sanitaire jugulée … à la condition que les dirigeants du continent tirent toutes les leçons de la crise ainsi que des échecs passés, et s’engagent avec détermination à relever le défi.
François Bambou est Journaliste et Président de l'Association des Journalistes de la Presse Économique du Cameroun.
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