Une décision politique au détriment des citoyens. Entretien avec Abou-Bakari Imorou à l'occasion de la Journée internationale des migrants.
Le coup d’État militaire intervenu le 26 juillet 2023 a mis fin au pouvoir démocratiquement installé au Niger débouchant sur des sanctions de la CEDEAO dont la fermeture des frontières. En réaction, le général Abdourahamane Tchiani a également fermé la frontière entre le Bénin et le Niger. Ces décisions politiques perturbent profondément les dynamiques sociales multiséculaires existants entre des peuples qui sont établis de part et d’autre des frontières et qui partagent les mêmes langues, cultures, et dans de nombreux cas les mêmes familles, y compris des autorités coutumières identiques.
La dureté des sanctions au lendemain du coup d’État tient du sentiment d’une menace de plus en plus en plus grande sur les régimes démocratiques africains. Le sentiment largement médiatisé est que l’histoire se répète car en trois ans, le Burkina Faso et le Mali sont tombés aux mains de juntes militaires qui ont souvent avancé les mêmes arguments pour renverser le pouvoir légitime. Toutes les chancelleries occidentales, la CEDEAO réunissant 15 pays et l’Union africaine ont unanimement et vigoureusement condamné le coup d’État et donné même un ultimatum de moins d’une semaine pour satisfaire des conditions de rétablissement de l’ordre constitutionnel, sous peine de sanctions économiques, voire d’une intervention armée. La fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Niger a été annoncée le 30 juillet 2023, dans un communiqué de la CEDEAO.
Suite aux vives critiques des société civiles béninoises et nigériennes, le Bénin a assoupli les restrictions et a rouvert sa frontière avec le Niger après l'annonce, fin février 2024, de la fin des sanctions économiques. Mais le Niger a maintenu fermée sa frontière avec le Bénin prolongeant ainsi le supplice des populations. Le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement de la CEDEAO, adopté en 1979 est profondément mis à mal. Au lendemain de cette décision de fermeture, près de 1 000 camions, provenant du port de Cotonou, ont été bloqués à la frontière entre le Bénin et le Niger. Les voyageurs en provenance de l’un des pays sont déposés à la frontière et rejoignent l’autre pays par une traversée du fleuve Niger dans des conditions très risquées. La traversée dure une trentaine de minutes et son coût a été décuplé passant ainsi de 500 à 5000 F CFA (moins d’un Euro à 8 euros). Les produits en provenance du Niger (oignons, ails, pommes de terre, dates, etc.) pour le marché béninois sont traversés dans les mêmes conditions avec pour conséquence la surenchère qui passe du simple au triple selon le cas. Un commerçant d’ail à Cotonou fait remarquer que ce produit est devenu cher parce que le sac d’ail en provenance du Niger est passé de 43000 F CFA à plus de 130000 F CFA. Le couloir de passage que constitue le Bénin pour l’acheminement des marchandises du Niger en provenance du Port de Cotonou a également cessé d’être pleinement fonctionnel.
Le principal motif évoqué pour maintenir la fermeture de la frontière du côté du Niger est le risque de déstabilisation du Niger à partir du Bénin. Les autorités nigériennes accusent celles du Bénin d'avoir permis l’installation des forces étrangères qui leurs sont hostiles et susceptibles de menacer la stabilité du Niger. Les dirigeants nigériens soupçonnent également le Bénin de jouer un rôle dans de potentielles manœuvres hostiles au Niger notamment dans les zones du Parc W et dans le département de l’Alibori. Ils ont clairement fait allusion à l’existence d’une base militaire française à Kandi et à des manœuvres miliaires dans le Parc W en vue de préparer la déstabilisation du Niger. Les réseaux sociaux ont même relayé des accusations de présence de l’infanterie française composée de soldats noirs susceptibles de se confondre aux soldats béninois pour ne pas attirer l’attention des observateurs. Ces informations largement relayées et soutenues sur les réseaux sociaux ont débordé la crise entre les deux pays pour s’inscrire dans la lutte géopolitique autour du contrôle du Sahel mettant en opposition le bloc occidental et le bloc russe. Cette crise s’inscrit d’emblée dans une dimension géopolitique internationale. Le Bénin y est considéré comme manipulé par le France et l’occident et le Niger soutenu par la Russie. Et l’instrumentalisation de la frontière qui fait fi des difficultés de survie des populations.
Loin de vivre impuissantes les contraintes liées à la crise, les populations de part et d’autre de la frontière se sont montrées résilientes. Le narratif anti-occidental et les attaques de plus en plus fréquentes dans les zones concernées ont fini de convaincre les populations qui semblent ne pas mettre la pression sur leur gouvernement pour l’ouverture des frontières. Elles adoptent par contre de nombreuses stratégies de contournement de la fermeture tant pour leur propre mobilité que pour le transport des marchandises. Ainsi se sont développés des circuits de contrebande contrôlés par des pécheurs habitués à la traversée de la frontière par voie fluviale. Ces derniers utilisent leurs pirogues pour offrir des services pour la traversée de la frontière aux voyageurs. Les passagers et leurs bagages tombent ainsi sous le coup de la traversée illégale et donc soumis aux rackets de tous genres des forces de sécurité tant du côté du Bénin que du côté du Niger. Les coûts de la traversée des marchandises comme les sacs d’oignon et d’ail ont un impact important sur leur coût. Il en est de même pour les produits céréaliers en direction du Niger. En effet, pour le contournement de la fermeture de la frontière les produits en direction du Niger passent par un circuit formel qui traverse le Nigéria. Mais ce circuit engendre un surcoût important et une augmentation des risques pour les transporteurs de leur marchandises diverses. Et en bout de chaîne le consommateur en paye le prix.
En dépit des stratégies d’adaptation évoquées dans le vécu de la crise, elle inscrit des groupes sociaux dans une conjoncture difficile. Au regard des accusations et soupçon une amélioration de la situation semble conditionnée par la garantie de la sécurité du territoire nigérien, l’implication des leaders locaux des zones frontalières dans la médiation diplomatique pour faire entendre les difficultés des populations et leurs propositions de sécurisation, une normalisation des relations politique dans des échanges directe bilatéraux. Dans l’urgence il faut procéder à une exception pour les produits de première nécessité et les denrées produites localement.
Professeur Titulaire et Enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences humaines et sociales de l’Université d’Abomey-Calavi (République du Bénin), Abou-Bakari IMOROU est spécialiste en socio-anthropologie de la santé. Son expertise couvre plusieurs champs, en l’occurrence l’accès aux services publics, les professionnels de la santé, les comportements à risque chez les sujets jeunes, les mobilités, les interactions judicaires, et autre production sociale de la radicalisation.
Le Professeur Abou-Bakari IMOROU dirige, dans son université, le Laboratoire de recherches Socio-anthropologiques sur les Systèmes organisés et les Mobilités (LASMO). Il est également chercheur au Laboratoire d’étude et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL).
Depuis 2009, il accompagne plusieurs agences de développement à travers une démarche scientifique pour appréhender les facettes sociales du développement, se distinguant ainsi dans le domaine de la recherche sur la protection des mineurs et les mobilités des personnes souffrantes.
Les opinions et déclarations des auteurs invités exprimées dans l'article ne reflètent pas nécessairement la position de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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