Comment le drame sur le test des conducteurs de camions aux frontières révèle les défis pour les gouvernements et les écarts qui existent entre les pays de l'Afrique de l'Est.
Image: of Twitter Camions faisant la queue à la frontière entre le Kenya et l'Ouganda à Malaba. Image tirée de Twitter.
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Ils ont déjà été vecteurs d'un virus. Lors du déclenchement de l’épidémie du SIDA au début des années 80, les camionneurs ont été les premiers à transporter le VIH/SIDA à travers les frontières de l’Afrique. Maintenant, avec le Coronavirus, les chauffeurs longue distance qui transportent tout, du carburant aux légumes, transportent également le SRAS-CoV-2 des ports orientaux de Mombasa et de Dar es Salaam vers l'intérieur du continent. À un moment donné, à la mi-mai, près de la moitié des personnes testées positives par les autorités sanitaires ougandaises étaient des conducteurs de camions.
Introduites aux postes frontaliers assez tardivement, les procédures de contrôle ont provoqué un chaos général, des grèves et des incidents diplomatiques. A Malaba, le Syndicat des conducteurs de camions longue distance du Kenya a accusé les autorités ougandaises de harcèlement et s'est plaint de mauvais traitements sur tout l’itinéraire. « Sur la route, les gens nous appellent Corona », a déclaré un chauffeur kenyan au journaliste de l’Ugandan Daily Monitor, admettant que lui et ses collègues avaient peur de la population locale. A Namanga, les autorités locales de la Tanzanie et du Kenya ont accusé l'autre partie de manipuler les résultats des tests. Dans les deux cas, il a fallu une intervention ministérielle pour calmer la connotation nationaliste des protestations des chauffeurs et les réponses des responsables.
Le suivi des camionneurs en Afrique de l'Est révèle les défis nationaux de la riposte à la Covid-19 et les écarts qui existent au sein de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC). Premièrement, les gouvernements ont imposé des confinements sans penser aux conséquences et à leur manque de capacités (humaines) pour mettre en œuvre les contrôles. Ceux qui ont visité un poste frontalier d'Afrique de l'Est savent qu'ils sont des microcosmes fascinants de leurs pays respectifs, des lieux où l'Etat de droit permet des faveurs à travers des moyens plus libres et innovants pour la résolution des conflits. Les postes frontaliers et les régions frontalières ont leur propre économie politique où la plupart des choses sont à vendre, des marchandises aux autorisations de passage.
Ainsi, la nécessité de maintenir les camions de fret pour la survie des économies enclavées, comme l’a souligné le Président ougandais Museveni dans chaque discours adressé à sa nation, a posé un dilemme pour son gouvernement. Pour éviter de longs retards de marchandises importées, le gouvernement a d'abord testé les chauffeurs mais les a laissés errer pendant des jours avant que les résultats ne soient connus ; seulement pour découvrir que les conducteurs infectés par le virus ne suivaient pas les règles pour ne s'arrêter qu'aux zones désignées ; ou même disparaissaient dans la communauté après avoir livré leur cargaison à destination. Mais lorsque Kampala a changé cette approche défaillante pour que les conducteurs de camion attendent leurs résultats, cela a créé un énorme embouteillage pouvant atteindre 50 km de long, obligeant ainsi les conducteurs à faire cuire leurs repas dans leurs cabines pendant des jours.
Tout cela, en raison de l'échec de la EAC à développer et à adopter une politique commune pour contenir la propagation de la Covid-19 au début de la pandémie en Afrique. Créée en 2000 - après son effondrement initial en 1977 – la EAC est une organisation intergouvernementale de six pays d'Afrique de l'Est. Il s'agit d'un projet ambitieux, actuellement un marché commun pour les biens, le travail et les capitaux dans la région, dans le but de créer une monnaie commune et, à terme, une fédération politique à part entière. Dans le même temps, c'est un club de six présidents, tous hommes, plus ou moins autocratiques qui semblent préférer entretenir leurs querelles personnelles et politiques plutôt que de pratiquer la coopération mutuelle. Le défi de la Covid-19 vient de faire ressortir le meilleur et le pire d'entre eux. Alors que le Président Kenyatta du Kenya et le Président Museveni de l’Ouganda ont maintenant convenu d’une solution pratique à leurs frontières communes, le Président tanzanien crée des blocages chez lui et sape ainsi les efforts des pays voisins. Le nouveau dirigeant du Burundi, Evariste Ndayishimiye, vient de profiter d’une campagne électorale où la distanciation sociale était un anathème. Et le gouvernement du Soudan du Sud semble s’être effondré sous la Covid-19 avec plus de vice-présidents et de ministres positifs que le jeune pays n’a des services de soins intensifs. Il semble qu'il ne reste pratiquement plus personne à Juba pour s'occuper des problèmes des conducteurs de camion, ou des déplacés internes sud-soudanais et des réfugiés en Ouganda qui traversent habituellement la frontière pour subvenir à leurs besoins.
L'absence de réponse coordonnée à la Covid-19 dans la région a ravivé le débat de longue date sur l'utilité et la praticabilité de la EAC en tant que telle. Des opposants comme le commentateur ougandais Andrew Mwenda, écrivent à propos du « Clou de la COVID dans la EAC » arguant que « dans nos pays pauvres, les groupes sociaux fortement intéressés par ces régimes régionaux sont trop faibles (politiquement) pour faire basculer la politique publique en faveur de l’intégration de l'économie régionale ». D'autres soulignent que l'échec même des réponses nationales et régionales à la pandémie renforce l'argument en faveur d'une Communauté de l'Afrique de l'Est plus intégrée.
Le 30 mai, les six Etats partenaires de la EAC ont adopté le Système Electronique Régional de Suivi des Cargaisons et des Conducteurs de la EAC qui permettra aux utilisateurs de partager des informations de manière transparente au-delà des frontières, après que les conducteurs de camions auront téléchargé l'application téléphonique sur leurs téléphones. Reste à savoir si cette proposition de politique régionale sera la première leçon que les pays d'Afrique de l'Est ont tirée jusqu’à présent de leur timide réponse à la pandémie, ou si elle se réduira comme une autre promesse vide de sens dans l'histoire de la EAC.
Rolf Paasch est le Directeur National de la FES-Ouganda et Co-coordinateur de ce blog.
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