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Comment la pandémie affecte le secteur informel au Kenya

Economiste et partenaire de la FES, Jacob Omolo, propose des options politiques pour le secteur informel du Kenya pendant et après COVID-19.

Informal settlement Kibera

Bild: von Brian Otieno, FES Vue de la plus grande agglomération informelle de Nairobi, Kibera.

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a atteint le Kenya le 13 mars. Depuis lors, le gouvernement a décrété un certain nombre de mesures d'atténuation de grande envergure. Il s'agit notamment de la fermeture de tous les établissements d'enseignement, de l'interdiction des rassemblements publics, de l'encouragement des travailleurs à effectuer des travaux à distance, de l'accentuation de la distanciation sociale, de l'imposition d'un couvre-feu nocturne à l'échelle nationale, du confinement dans la région métropolitaine de Nairobi et de trois communes côtières, limitant le nombre de passagers dans les véhicules de service public à 60% au maximum de la capacité de ces véhicules, l'interdiction des vols internationaux de passagers, l'imposition de quarantaines et en mettant l’accent sur la propreté et l'hygiène. Reste à savoir si ces mesures peuvent contenir la propagation du virus.

Les travailleurs du secteur informel sont les plus touchés par ces mesures. Selon le Bureau national des Statistiques du Kenya, le pays dispose d'un secteur informel important et en plein essor, qui a généré 83,6% de l'emploi total en 2018 et 33,8% du PIB en 2015. COVID-19 présente à la fois des chocs en matière de l'offre et de la demande pour le secteur informel. La fermeture des frontières, en particulier par les partenaires commerciaux du Kenya dans la Communauté de l’Afrique de l’Est, les restrictions de voyage dans le pays ont perturbé les chaînes d’approvisionnement du secteur informel en restreignant la production, la commercialisation et la distribution de biens et services. Les pertes de revenus dues au chômage, la peur de s’infecter et une incertitude accrue ont également fait que les gens dépensent moins, réduisant ainsi la demande générale. Par conséquent, les travailleurs et les opérateurs du secteur informel ont perdu leur emploi, leurs revenus et leur capacité de consommation. L'emploi et les pertes de revenus sont aggravés par les perturbations dans les chaînes d'approvisionnement et les mesures prises par certaines communes pour contraindre les entreprises informelles ou de fermer ou de délocaliser les marchés en plein air. Certains travailleurs domestiques ont été déclarés licenciés dans la mesure où leurs services ne sont guère requis par leurs employeurs, qui sont également confinés à la maison en raison de la pandémie, tandis que les services d'autres ont été résiliés car ces travailleurs sont considérés comme des risques potentiels de contagion.

Le gouvernement du Kenya a annoncé un certain nombre de politiques fiscales, monétaires et d'assurance sociale pour atténuer l'impact social et économique de COVID-19. Ce sont les exonérations fiscales pour les personnes à faible revenu et des réductions d'impôts pour ceux qui ont des revenus plus élevés, une réduction de la TVA de 2%, un financement accru pour des transferts monétaires ciblés et des mesures pour accroître la liquidité des banques commerciales. Les mesures visaient en grande partie à protéger les travailleurs et l'industrie de l'effondrement des entreprises découlant de la pandémie de COVID-19.

L’ensemble des mesures de sauvetage mises en place par le gouvernement exclue cependant, en grande partie, le secteur informel. La plupart des travailleurs et des opérateurs de l’informel ne sont ni compensés dans les assiettes fiscales officielles pour lesquelles des exonérations s'appliquent, ni ne gagnent-ils au-dessus du seuil fiscal de KSh. 24 000 (226,3 $ US) par mois pour bénéficier de l'allégement fiscal. La réduction de 2% de la TVA ne peut être avantageuse que si les fournisseurs d'intrants et de consommables répercutent l'avantage, ce qui n'est pas garanti. La nature aveugle du secteur informel du programme de sauvetage du gouvernement confirme l'affirmation de la discorde de longue durée selon laquelle le secteur est un orphelin politique, souvent exclu dans les discours politiques. Dans le scénario actuel, le gouvernement a principalement consulté les travailleurs du secteur formel, les employeurs et les chefs de file de l'industrie par l'intermédiaire de leurs représentants syndicaux et des associations de l'industrie avant de proposer un plan de sauvetage. Toutefois, aucune tentative n'a été faite pour impliquer les associations et les organisations syndicales des travailleurs du secteur informel afin d'identifier des mesures d'atténuation adaptées audit secteur.

L'exclusion du secteur informel dans les plans de sauvetage du COVID-19 laisse présager de graves conséquences économiques, sociales et sécuritaires. Ce secteur constitue l'éponge de la main-d'œuvre du pays, employant un grand nombre de femmes, de jeunes et de travailleurs vulnérables, et est le lieu où l’on retrouve la majorité des jeunes demandeurs d'emploi dont environ 800 000 s’ajoutent au marché du travail kenyan chaque année. Cependant, les emplois dans ce secteur sont précaires, avec une sécurité des salaires et de l'emploi limitée, un accès limité aux services de santé et à la protection sociale, y compris des cadres fragiles pour la sécurité et la santé au travail, ce qui rend les travailleurs très exposés et vulnérables aux pertes de revenus et aux licenciements qui découlent des chocs de COVID-19. Sans mesures politiques ciblées, les travailleurs courent un risque élevé de tomber dans la pauvreté et pourraient rencontrer de plus grands défis pour retrouver leurs moyens de subsistance après COVID-19.

Tout plan de sauvetage du secteur informel doit inclure des stratégies à court, moyen et long terme. Garder les travailleurs du secteur informel en sécurité et en bonne santé demeure la première priorité, et les transferts en espèces et les subventions alimentaires pour les rendre plus aptes à amoindrir le choc dû aux pertes de revenus induites par la crise, en particulier en cas de confinement total, sont essentiels. Les subventions salariales accordées aux opérateurs pour les aider à conserver leurs employés actuels pendant la période de crise et les garanties de crédit temporaires pour répondre à leurs besoins de liquidité sont importantes. À moyen terme, le gouvernement et les associations du secteur informel devraient concevoir des stratégies pour promouvoir l'accès aux services de santé par le biais d'un régime d'assurance médicale tandis qu'à plus long terme, les stratégies de réponse devraient se concentrer sur l'approfondissement de la couverture de protection sociale et la promotion de la formalisation du secteur. Il est clair que les stratégies susmentionnées devraient faire partie des stratégies de croissance et de développement du secteur informel même si la crise sanitaire du COVID-19 ne se produisait pas. Protéger et assurer globalement les travailleurs informels n'est pas seulement nécessaire et socialement juste pendant la crise du COVID-19, mais aussi une bonne option politique à long terme, en particulier pour lutter contre les inégalités persistantes au Kenya.
 

Jacob Omolo est Maître Principal de Conférences au Département de l’Economie de l’Université Kenyatta à, Nairobi, Kenya.

(Französische Übersetzung der englischen Originalversion)


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